TRIBUNE

La chanson «Je partira pas» n’est pas un phénomène isolé, mais le symbole d’une culture raciste qui éclate au grand jour

Alors que la chanson raciste qui fait danser Eric Zemmour circule sur les comptes d’extrême droite, l’écrivain Antoine Mouton se remémore son internat au lycée des Chartreux à Lyon, où les chansons diffusées au réveil dans les chambrées étaient du même acabit. Preuve que cette culture longtemps restée minoritaire est bien ancrée.

Alors que la chanson raciste qui fait danser Eric Zemmour circule sur les comptes d’extrême droite, l’écrivain Antoine Mouton se remémore son internat au lycée des Chartreux à Lyon, où les chansons diffusées au réveil dans les chambrées étaient du même acabit. Preuve que cette culture longtemps restée minoritaire est bien ancrée.

Depuis ce matin, j’entends parler d’une chanson raciste qui circule sur les réseaux sociaux, et sur laquelle on a vu Eric Zemmour se dandiner, hilare. Elle s’appelle Je partira pas. On dit qu’elle a été générée par une intelligence artificielle, mais il y a bien un être humain qui, à défaut d’en être l’auteur, l’a commandée.

En l’entendant, je me suis souvenu de ma scolarité au lycée des Chartreux, à Lyon, où j’étais interne entre 1995 et 1998, sous la direction du père Georges Babolat, accusé depuis lors d’agressions sexuelles. J’y ai reçu une éducation d’extrême droite. A l’époque, je n’avais pas de culture politique suffisante pour le comprendre et me situer par rapport à cela. Tous les professeurs n’étaient pas de fervents fascistes, loin de là. Mais la majorité des élèves l’étaient. Il y avait les Royalistes, les encartés du Front national Jeune, ceux qui s’étaient connus aux Scouts d’Europe, et beaucoup d’autres groupuscules qui, réunis, formaient une masse écrasante. L’établissement était connu de certaines familles comme un point de rassemblement idéologique. Mais les jeunes ne se politisaient pas tout seuls. Le lycée lui-même était formateur. Semi-privé, sous contrat avec l’Etat, donc bénéficiant d’aides de celui-ci, il hébergeait un abbé, Matteo Lo Gioco, condamné pour s’être enchaîné dans une maternité afin d’empêcher un avortement.

Par chance, peut-être par hasard, peut-être par sensibilité (mais très honnêtement : je n’en sais rien), je n’ai pas réussi à être ami avec les jeunes fascistes. Ma puberté tardait un peu, j’étais hésitant quant à mon orientation sexuelle, et je n’étais pas spécialement attaché à la France, parce qu’il me semblait plus urgent de m’inventer une différence plutôt qu’une appartenance. Ces trois points n’ont pas aidé à m’intégrer parmi eux. Les amis que j’ai trouvés à cette époque, plus éveillés que moi, savaient ou commençaient à savoir ce que signifiait l’antifascisme. Autant vous dire qu’ils ont beaucoup souffert.

Paroles abjectes

Alors que j’étais en terminale, tous les matins à 6 h 45, pendant une période dont la durée reste imprécise dans mes souvenirs, j’ai été réveillé par des chansons racistes, qu’on réunit parfois sous l’étiquette du «rock identitaire», diffusées par des haut-parleurs dans chaque chambre de l’internat. Les groupes étaient nombreux, les disques aussi, variés. Je me souviens d’une seule d’entre elles : il s’agissait d’une parodie du tube Harley Davidson de Brigitte Bardot, dans laquelle un homme hurlait : «Je n’ai besoin de personne /pour butter des sous-hommes.» Internet m’indique qu’elle est la création du groupe Nettoyage Ethnik, sur l’album Bamboulak. Je n’ai pas eu le courage de la réécouter. Mais on la trouve assez facilement. Et de nombreux sites en relaient les paroles abjectes. J’en connais certains passages par cœur, parce que j’ai été interne au lycée des Chartreux, parmi trois cents autres élèves.

Ce que je veux dire par là, c’est que la chanson qui est apparue ces dernières heures sur les réseaux n’est pas une anecdote, ni un phénomène isolé, ni même un piège pour attraper Zemmour, mais bien la révélation d’une culture, longtemps restée minoritaire, secrète, et qui non seulement n’a jamais été démantelée, mais en plus a été d’une certaine façon soutenue par l’Etat, qui a financé et finance encore des lieux où convergent les idéologies fascistes, et où celles-ci trouvent à s’unir, à bâtir des réseaux, à emplir quelques têtes un peu désarmées pour faire grossir leurs rangs, en attendant leur tour.

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